De quand date la Chanson de Craonne ?


En l’état actuel des recherches, à part une version sur une feuille volante datée « septembre 1915 » et retrouvée dans le cahier de chansons d’un poilu (voir LORETTE-15-09), les versions les plus anciennes précisément datées (février 1917) ont été découvertes dans les archives du Service historique de la défense à Vincennes. Leurs paroles font allusion à des lieux différents : Lorette, la Champagne, Verdun ou les Eparges. Tous ces noms correspondent à des batailles qui se sont déroulées au cours des mois précédents, en 1915 ou en 1916. Le récit de La Guerre des soldats* intitulé « La Chanson de Lorette » peut être daté de mars 1916. Il fait clairement allusion à un auteur anonyme mort « sur ce funeste plateau de Lorette » où les combats ont fait rage à l’automne 1915 (voir LORETTE-16-03). Un seul auteur, vraisemblablement, plutôt qu’une œuvre collective, et à l‘évidence quelqu’un qui n’écrit pas sa première chanson et qui sait manier les effets littéraires …

Plusieurs éléments convergent pour une datation à l’automne 1915. La référence à Lorette correspond à la 3e bataille d’Artois qui commence le 25 septembre 1915. L’année 1915 voit se développer le thème des « embusqués », ceux qui profitent de leurs relations ou de leur fortune pour ne pas venir sur le front. Détestés par les combattants, les embusqués sont aussi l’objet de campagnes de presse (en particulier L’Echo de Paris de Barrès et L’Homme libre de Clemenceau) qui aboutissent à une première loi pour limiter les abus (loi Dalbiez du 17 août 1915). Enfin l’institution de permissions à compter de l’été 1915 permet aux poilus mobilisés depuis près d’une année de découvrir qu’à l’arrière et surtout à Paris, la vie continue comme avant la guerre, en ignorant les souffrances du front.

Si la datation « fin 1915-début 1916 » semble généralement acceptée, elle n’est parfois admise que pour les premiers couplets. La chanson aurait été complétée au printemps 1917 par le dernier couplet dénonçant les embusqués qui se pavanent sur les grands boulevards et par le second refrain où il est question de la « grève des troufions ». Des versions retrouvées dans les archives de l’Armée montrent qu’il n’en est rien : dès février 1917, la chanson est déjà là, avec ses quatre couplets et ses deux refrains. Quatre couplets et pas trois comme dans la version qui est connue aujourd’hui (voir CHAMPAGNE-17-02-17).

*Recueil publié en 1919 par Raymond Lefebvre et Paul Vaillant-Couturier.

Guy Marival, le 27 février 2017