Sur le Plateau (15 février 1917)

Chanson à quatre couplets et deux refrains que Jules Duchesne, un soldat du 114e régiment d’infanterie, a copiée pour sa femme et qui a été interceptée par le contrôle postal.


Source :

La même chanson apparaît à deux reprises dans les archives du contrôle postal de la IVe Armée au Service historique de la Défense à Vincennes. Sous la cote 16N1405, on la trouve, transcrite à la machine, dans le rapport de l’officier chargé de contrôler la correspondance du 114e régiment d’infanterie. La lettre originale de Jules Duchesne avec la copie manuscrite de la chanson se trouve dans une autre liasse du contrôle postal sous la cote 16N1551.

Il est intéressant de comparer la transcription faite par la commission de contrôle avec le document original ou avec sa transcription littérale. Dans sa transcription dactylographiée, le censeur a délibérément corrigé l’orthographe et rétabli la ponctuation qui était absente de la copie manuscrite, allant même jusqu’à supprimer les élisions (voir 4e couplet, v. 6 : « de se cacher » au lieu « dse cacher » sur la copie manuscrite). Il s’écarte d’ailleurs parfois du texte original, par exemple, au 2e couplet, il écrit « c’est la vie dure » au lieu de « la vie est dure » (v. 4), ou « nous défendre » au lieu de « se défendre »( v. 8). Il modifie carrément le sens du texte au 2e couplet, v.12, lorsqu’il lit, oubliant que Jules Duchesne ne met pas toujours les accents, « se taire » au lieu de « se terrer », de même dans le refrain final lorsqu’il transcrit « Mr Mr Les gros » (sic pour « Messieurs les gros ») par « Mr et Mme les Gros »… La comparaison avec le document original jette donc quelques suspicions sur la fidélité des versions dactylographiées des archives du contrôle postal, dès lors qu’on ne dispose pas de la copie manuscrite originale (voir par exemple : Chanson de Verdun (1917).


Contexte :

Lorsqu’il écrit à sa femme le 15 février 1917, Jules Duchesne est au repos avec son régiment dans un cantonnement à Vitry-la-Ville (Marne). Le 114e régiment d’infanterie a combattu fin janvier dans la Somme, près de Péronne (secteur de Biaches-Flaucourt) avant de partir en cantonnement puis de prendre le train à Boves pour Châlons-sur-Marne. Le 31 janvier, à Cappy-Froissy (Somme), le régiment a encore eu sept morts lors un bombardement aérien.

Du 11 au 15 février, le 3e bataillon dont fait partie la 10e compagnie de Jules Duchesne effectue, par équipes de 100 travailleurs des travaux de coupe de bois, de clayonnage et de fascinage pour le compte du Service forestier de la IVe armée. Dès le 16 février, le 3e bataillon embarque pour La Neuville-au-Pont près de Sainte-Menehould, sur le front de l’Argonne, où il doit aller renforcer le 296e RI, « en cas de besoin ». (Source : JMO du 114e R. I., SHD, 26N681/13).

C’est le 17 février que le contrôle postal s’intéresse à la correspondance du régiment. Cinq-cent huit (508) lettres sont ouvertes (environ le quart de la correspondance en partance, comme c’est habituellement le cas), dont celle de Jules Duchesne à sa femme. Le soldat commence par raconter sa vie au repos : « Depuis quatre jours, on fait les bûcherons…  On ne se fait pas trop de mauvais sang pour l’instant. Je te dirai que c’est toujours autant de pris », Il commente ensuite son envoi: « Je t’envoie la chanson des embusqués et tout ce que je te prie, c’est de la conserver car c’est la seule chanson qui me plait et elle est réelle », et plus loin « c’est la nouvelle chanson du poilu des tranchées ». Cette lettre est un témoignage rare sur la perception que les combattants pouvaient avoir de la chanson : c’est une chanson « nouvelle » (alors qu’elle circule depuis plus d’un an), c’est « la chanson des embusqués » (plutôt que celle des troufions qui vont se mettre en grève), c’est une chanson « réelle » qui exprime parfaitement les sentiments au front après deux ans et demi de guerre.


Musique :

Aucune indication de l’air sur lequel se chantent les paroles.

Remarques sur les paroles :

Outre la double localisation du plateau, situé à la fois en Champagne dans le premier refrain et à Lorette dans le second couplet, on retrouve le « c’est pas fini » du premier refrain et le « c’est pour eux qu’on s’crève ») du second refrain, des variantes qui sont communes aux autres versions datant de la période 1915-1919. Il faut encore noter au 4e couplet (dernier vers) : « ces richards-là ».



Autour de la Chanson de Craonne   http://www.chansondecraonne.fr  M-à-j le 16/01/2017